
Après avoir écouté le nouvel EP « Points Cardinaux » de Clara Malaterre ces dernières semaines, comme je me l’étais promis, je me suis rendue à la Manufacture Chanson à Paris le 8 octobre dernier pour assister à la release party de son album 5 titres. Découvrir les chansons d’un artiste sur scène est important. C’est là que l’artiste délivre ce qu’il est réellement au-delà de la production discographique qui peut gommer parfois les aspérités nécessaires à la découverte de sa démarche artistique. Le seul endroit où leurs mots, leurs notes, leur propre expression deviennent justes est donc en live.
La Manufacture Chanson, située dans le quartier du Père Lachaise à Paris est une vraie Maison d’Artistes. Depuis 1983, leur ambition est de proposer un lieu dédié à la chanson. La chanson sous toutes ses formes, quelle que soit son origine, sa langue ou son style. Ce lieu a accompagné de nombreux artistes de chanson française, qui s’y rencontrent, y cultivent leur créativité, partagent leur passion et développent leurs savoirs. C’est d’ailleurs ce lieu qui produit le concert de ce soir, sous la houlette du maître des lieux, Stéphane Riva et dans lequel Clara Malaterre a fait une résidence de 3 jours pour développer son projet scénique en particulier.
Ce lieu intimiste accueille une cinquantaine de personnes, et le concert de ce soir affiche complet. C’est un public très large qui va de 5 à 77 ans, composé de curieux comme moi, de sa famille et d’amis qui sont venus soutenir la jeune artiste. C’est la première fois que Clara Malaterre se produit en trio pour présenter ce nouvel EP Points Cardinaux. Elle démarre le set par la présentation des personnes qui l’ont accompagné jusqu’ici : Stéphane, Tristan son coach, Sébastien au son et Maxime à la vidéo. Elle présente également ceux qu’elle appelle, « son épopée sauvage » qui l’accompagne ce soir sur scène : Nicolas Delaffon (guitare, mandoline) et son acolyte de toujours, qu’elle nomme affectueusement son bras droit, son poumon gauche, sa cover Basse, Arthur de Barochez (guitare basse). Ce trio guitaristique va mener le concert tambour battant pendant une grande partie de la soirée, même si Clara Malaterre s’octroie un espace solo pour présenter quelques chansons en guitare-voix acoustique.

La chanson « Peaux », issue de son EP « Portraits » ouvre le bal. L’ambiance est jazzy (j’adore son scat, ses onomatopées et le picking des guitares), ses guitaristes font chœur avec elle et plantent le décor chaleureux et bienveillant de ce concert. Après des applaudissements nourris, Clara Malaterre enchaîne sur deux morceaux de son EP « Points Cardinaux » : d’abord la chanson « Grandeur Nature », dans laquelle elle nous embarque dans un voyage intimiste et joyeux. Une sorte d’invitation céleste vers ses paysages qui la façonnent. D’ailleurs, elle invite le public à se joindre à elle pour reprendre le refrain « Et, je rêve » en chœur sur sa voix de tête qui nous attrape.
Puis c’est la chanson, « l’Etang », où nous basculons dans un monde hyper mélancolique. Arthur de Barochez imprime cette ambiance triste en jouant de l’archet sur sa guitare, qui évoque la noirceur des souvenirs, comme une nature morte, et qui nous transperce l’âme par des mots forts : « Sans M, Famille se dit M, l’enfance est un couteau dans le cœur » … Ce chaud-froid nous démontre la lucidité, une certaine gravité dans cette chanson, qui monte crescendo, pour redescendre en douceur et décuple les émotions. « J’offre ces questions au vent, je ne retournerais plus à l’étang ». Avec ces mots qui traduisent la fin de l’enfance, Clara Malaterre nous cueille littéralement. C’est déjà le premier moment fort de la soirée. Le ton est donné. Clara Malaterre ne triche pas avec ce qu’elle est, ce qu’elle ressent, ce qu’elle veut transmettre. Le retour du public est nourri à la hauteur de cette bouleversante chanson.

Le morceau « Marwa » qui suit donne une autre facette de la personnalité de Clara Malaterre. Elle fait partie de cette jeune génération, qui est profondément touchée par les injustices, qu’elles soient faites aux femmes, à la liberté d’aimer qui on souhaite, à la situation des étrangers, et à ce monde qui se divise entre le Nord et le Sud. Elle porte la voix de ceux que l’on entends pas. Marwa décrit une situation vécue par une ancienne camarade d’université et est chanté par Clara avec son accord. Un passage à la frontière lors d’un voyage en Angleterre peut s’avèrer difficile à vivre. Produire ses papiers d’identité aussi, surtout s’il n’a pas le même sens pour tout le monde. Ce laisser voyager/passer pour les uns devient un laisser galérer/crever pour les autres. Ces 2 faces d’une même situation devient différente à cause de sa nationalité, de sa couleur, de son genre. Ce privilège de ceux du Nord devient une absurdité pour ceux du Sud. Le jeu et l’interprétation de Clara sont saisissants et éclairent les esprits encore mieux que certains discours entendus récemment.

Après cette chanson longuement applaudie par l’auditoire présent, c’est le moment choisi par Clara pour parler en solo des textes et des chansons qui lui tiennent à cœur. Ses deux acolytes s’éclipsent de la scène et elle s’empare d’un livre, celui d’Emilie Hache, intitulé « RECLAIM » (qui est un recueil de textes éco-féministes). RECLAIM signifie « se réapproprier », la terre, son corps et le lien avec le Vivant. Elle lit le poème de Suzane Saxe, « Une question stupide », tel un credo de l’écologie-féminisme. Ce mouvement, né dans années 80, lutte contre l’exploitation des femmes et de la nature, qui selon elles précèdent de la même logique de domination des hommes sur les femmes et sur la nature par l’instauration du système patriarcal. Ce mouvement prône le soin aux plus vulnérables, aux autres et à l’accueil des émotions. Clara Malaterre affirme ses convictions, comme une gentille sorcière des temps modernes qui lutte dans ce monde abîmé. Cette lecture, c’est la force de Clara pour ouvrir les yeux sur des sujets importants, d’avoir cette lucidité sur le monde d’aujourd’hui, et de provoquer une forme de mobilisation joyeuse sur ses préoccupations par le chant et la poésie. Après ce passage très applaudi, pendant qu’elle accorde sa guitare, Clara continue le dialogue avec son public, parfois de façon humoristique. « Ce public, agé de 4 à 92 ans, qui tousse tous pareil ».
Elle a envie de chanter des chansons d’amour et celle qui arrive est particulière. « Nature Boy », c’est la première reprise de ce concert merveilleusement chanté par Nat King Cole, qu’elle interprète d’abord en français. Elle imagine un garçon qui rêve d’être aimé et d’être aimé en retour. Au fur et à mesure, ce garçon imaginé prend une autre allure, de ceux qui se réinventent sans se soucier du genre, à l’image de Suzy Solidor, un symbole de la garçonne des « Années folles », à laquelle Clara Malaterre semble faire référence. Cette reprise acoustique, est comme une belle signature personnelle, vocalement en voix de tête qui devient très rythmée. Une belle respiration musicale et une improvisation sur le refrain à la fin, avec la connivence du public que Clara invite à chanter avec elle.

Sa communion avec le public est un des marqueurs du concert. Elle dialogue constamment et beaucoup entre les chansons, raconte des histoires pendant qu’elle s’accorde (beaucoup à mon goût) et qu’elle décrit avec humour comme « un concerto pour 36 cordes ». On apprend aussi que sa guitare s’appelle Baby, son harmonica, Oscar, que la taille de la guitare ne fait pas le son et qu’elle connait quelqu’un qui nomme ses pinces à linge. Rires de la salle. Bref, on ne s’ennuie pas une minute avec elle. Cette atmosphère bienveillante et bon enfant fait que l’on se sent comme faisant partie d’une grande famille.
Avec le titre « Sœurs », Clara tranche dans cette ambiance, pour raconter un moment mélancolique de ce voyage d’Eglantine et Suzanne. Ces 2 sœurs aventurières qui prennent la mer comme un long voyage douloureux qui prend aux tripes pour celui qui écoute. Chaque mot de cette chanson à tiroirs incite l’auditeur à voir plus loin que la première lecture.
« Assumer l’un et l’autre pour mieux le/se réinventer, sans se soucier du genre. «
Clara Malaterre
C’est ce à quoi Clara s’attelle quand elle décrit dans son EP « Points Cardinaux », l’amour pour fil conducteur, qu’il soit filial, amoureux, intime comme un parcours initiatique à geographie variable. C’est le propos des chansons « Kreuzbergstrasse » et « San Francisco » (qui voir revenir sur scène son duo de musiciens). Le premier morceau est enjoué, comme une soirée au feu de camp, avec un jeu d’harmonica bien sympathique. Le second morceau est à mon avis le clou du spectacle que j’attendais. Après un ultime accordage de guitares (oui, oui), une belle intro façon slide, le son du vent qui résonne comme un voyage au long cours et nous voila embarqué en Californie, dans cette ville emblématique du mouvement LBGT américain, à laquelle elle mêle des souvenirs amoureux personnels en miroir avec ceux des habitants du quartier Castro, lieu symbolique du mouvement lesbien des années 70 et 80. Comme elle le chante « Dans ce quartier où tant d’autres comme nous se sont aimés », c’est une page d’histoire qui se mélange aux souvenirs de Clara. L’atmosphère est prenante et culmine quand Nicolas et Arthur chantent en chœur le refrain « Californie / Sans Francisco ». Je suis soufflée. Il n’y avait pas de meilleure manière pour terminer son set en apothéose sous les bravos et les applaudissements sans fin du public.
Ce dernier réclame à corps et à cris un rappel. Avant de faire ce rappel, Clara tient à nous présenter Céleste Gangolphe au premier rang, qui n’est autre que la graphiste (et sa soeur, coeur avec les doigts) qui a illustré avec de superbes dessins la couverture de ses EP et le livret du dernier « Points Cardinaux ». C’est l’instant promo du concert qu’elle aborde avec humour « Si vous voulez repartir avec un dessin, vous pouvez repartir avec un dessin », et de même avec son dernier album. Ce sera un rappel sautillant et joyeux avec les titres « Un Dimanche à Cushendun » et « Juliette ». Le temps de raconter une anecdocte dans un pub en Irlande, nous remuons nos mains et nos pieds à tue-tête sur ce morceau instrumental joyeux où les guitares sont les maîtres du jeu. Puis, c’est « Juliette, qui est à l’Ouest » qui invite au lâcher prise et à la danse. Les onomatopées sur JU-LI-ET-TE avec son bassiste sont surprenants et invitent à la fin à chanter avec eux en chœur. Un vrai moment de partage qui fait du bien !
Comme le public réclame un bonus, Clara Malaterre ne se fait pas prier pour donner ce bonus-bonus ! Elle reprend « Un Petit Poisson, Un Petit Oiseau » de la grande Juliette Gréco, qu’elle interprète à sa manière, naturelle, gaie, avec des Doo Wap Doo Wap inattendus et une fin lyrique sur une voix de tête étonnante. Le public chante et est heureux. Une petite fille s’avance avec sa maman pour lui offrir des roses. C’est donc ça un concert de Clara Malaterre, un moment magique, festif, bienveillant, bourré d’émotions, qu’on est pas prêt d’oublier.
Et comme le dit si bien l’artiste pour conclure cette si belle soirée : « Et surtout, revenez ! ». Je crois bien que je ne me ferais pas prier ….
Si vous voulez découvrir l’univers de Clara Malaterre, ses prochaines dates de concert sont :
- Le 11 novembre 2021 – Participation aux Rencontres Matthieu-Côte au Sémaphore à Cébazat (63)
- Le 19 novembre – Festival Chants d’Elles – Radepont (27)
- Le 8 décembre – en coplateau avec Rob Miles et les clefs anglaises à La Dame de Canton (75013)
Photos du concert – Copyright/droits réservés Astrid Souvray / Pirouettes Sonores
(cliquer sur une photo, pour faire défiler la galerie)
=> Envie d’en savoir plus ? la chronique de l’EP « Points Cardinaux de Clara Malaterre, à (re)lire ICI